ET SI ON NE LEVURAIT PAS ?

Pétri ... de certitudes
Pétri ... de certitudes

 

Après un billet expliquant pourquoi j'avais décidé

de levurer toutes mes cuves,

option qui me paraît très défendable,

je me hâte d'en faire un autre 

vous exposant les arguments

qui m'ont fait hésiter,

et continuent de me stimuler.

 

 

En préambule, je me déclare surpris des réactions obtenues au premier billet. Ce blog est lu par 1.000 personnes par mois (donc 30 par jour),  souvent les mêmes, et qui constituent un cercle de "fidèles". Je ne suis pas connu en dehors de mes proches, et ne le souhaite pas, sauf si ce sont des clients. J'aimerais vivre un jour de ma production.

 

Je l'ai copié sur un mur FB où je n'ai que quelques dizaines de contacts (amis me paraît usurpé). Il y en avait plus de 300 mais j'ai fait le ménage depuis.

 

Certaines de ces réactions, enthousiastes, déclaraient que j'avais raison et que c'était "honnête" de le dire. 

 

"Avoir raison", c'est quoi ? Galilée avait raison, mais il a du se dédire. J'ai raison d'avoir opté pour une capsule à vis et de refuser le bouchon de liège mais cela m'a sans doute fermé un marché de réfractaires. Si petit soit-il, le manque à gagner auprès de personnes qui apprécient en dehors de cela mes vins est déplaisant. Je ne cherche pas à avoir raison, je cherche une attitude cohérente.

 

"Honnête"? Qu'y-a-t-il d'honnête à expliquer une pratique légale, logique, raisonnable ... ? Il serait crétin de la cacher, ça oui. Mais un Germain, même quand il s'exprime en français, ne voit pas toujours les choses comme un esprit hexagonal, la forme géométrique qui sait tout mieux que les autres. 

 

Beaucoup d'avis - aucun en provenance d'actifs, NB, tous issus de la plume de "commentateurs", souvent très peu "cochons de payeurs" eux-même - ont émis des réserves ou carrément des témoignages d'hostilité. Grand bien leur fasse. Eric Cantona - je l'aime bien, lui, mais on ne s'est jamais rencontrés - avait expliqué quelque chose dans un anglais approximatif à propos de goélands ...

 

J'avais dans l'idée de me faire l'avocat de mon propre diable, sorte de "Sympathy for the Devil" ou même de "Their Satanic Majesties' Request". J'ai hâté le mouvement et vous livre ce billet maintenant, ahora.

 

Quels arguments - sans avoir recours à aucune recherche préalable, ni de google-age - me viennent-ils à l'esprit, spontanément, en dehors de toute préparation? Vous verrez qu'il y en a pas mal.

 

Tout d'abord, la biodiversité, à laquelle je crois. En dépit du préjudice - largement compensé sur le plan financier - subi par les éleveurs du fait du développement des meutes de loup, je suis un défenseur de cet animal. Je crois aussi qu'il faut sauver les rhinocéros unicornes, les éléphants, les pandas, les espèces de papillons menacées etc ... Je me suis fait piquer tant et plus par les moustiques et les phlébotomes autour de l'étang de Leucate cette année, car la préfecture interdit les campagnes de désinfestation par les organochlorés ou les carbamates. Et elle a raison. Pour une fois qu'un représentant de l'Etat Français prend une bonne décision.... Donc, une levure qui existe dans la nature, qui suit une évolution (je suis darwiniste, et partisan du mariage pour tous, ça va ensemble) lente et chaotique, cela me plaît.

 

Ensuite, la tradition. Je ne l'élève pas en religion mais trouve que souvent l'observation de nos avant-passés était correcte. On a fait du vin, et parfois du bon vin, sans levurer pendant 8000 ans sans doute. 

 

La volonté de limiter les intrants. Là aussi, il ne s'agit chez moi pas d'un credo. Il s'agit en fait d'une PRECAUTION. On ne sait, dans les systèmes biologiques à ciel ouvert, ce qui va se passer que bien plus tard, parfois des décennies plus tard, et le mal est fait. Peut-être la sélection de levures en laboratoire aura-t-elle des effets inattendus un jour ? Je n'en sais rien. J'ai la même attitude envers les OGM, en fait. Au laboratoire, ils ne me gênent pas. Je suis diabétique insulino-traité et j'injecte (en 3 à 8 fois, je vous rassure) environ 100 UI d'insuline par jour sous la jolie peau de mes cuisses et de mon bedon. Et ce sont des Escherichia coli qui me l'offrent, cette insuline recombinante! Mais je n'en veux pas "en liberté". Il faudrait faire la même chose avec les témoins de Jehovah: tant qu'on les enferme et qu'ils ne mettent pas en danger les jours de leurs enfants (idées stupides sur la vaccination, la transfusion sanguine etc ...), leur dévouement à vouloir sauver les autres me séduit.

 

Le désir de ne pas céder aux industriels. L'idée même de devoir payer pour une levure me désole. Attention, je trouve normal de payer les frais de fabrication, d'emballage, de port ... mais pas les frais de recherche ni de brevet. En fait, c'est la notion même de "propriété intellectuelle" (ou industrielle, ou artistique, you name it) qui me glace. Mais c'est un autre débat et très peu de gens pensent comme moi. Ceci n'indique d'ailleurs nullement que c'est eux qui sont dans le vrai.

 

Enfin, il existe - seuls des menteurs le nient - des levures qui exagèrent dans une grande proportion certaines  particularités organoleptiques présentes dans les jus, en favorisant tel ou tel aspect. On affirme que seuls seront "enhancés" (appuyés) les précurseurs déjà présents. Je ne sais pas si c'est vrai, la littérature est ambuiguë et je m'en fous. Une levure qui fait sentir le buis (et rien d'autre) à du sauvignon, le vieux cuir à du mourvèdre, la mangue pourrie à du chardonnay ... ne m'intéresse pas.

 

Voilà, il existe certainement d'autres raisons, mais celles-ci me sont venues rapidement à l'esprit. Elles me font hésiter. J'ai envie d'essayer un jour de ne pas ensemencer une de mes cuves (et puis d'autres si ça marche bien), pour voir.

 

Mais une raison me pousse à ne pas le faire: déclencher la réaction primaire, imbue d'eux-même, ignare, de tous les partisans rousseauistes - le plus insupportable de tous les penseurs français après BHL ou Lacan, avec Onfray comme dauphin - du "naturel à tout prix". Pas un n'y connaît quelque chose, pas un n'a un vrai métier en dehors de la glose, pas un ne jouit d'un milligramme d'estime à mes yeux. 

 

Je ne parle pas ici des collègues vignerons. Eux ont fait un choix différent du mien, avec ses risques, ses avantages, et je les respecte. Je bois souvent de leurs vins, qui sont souvent très bons. Ils ne sont ni pires ni meilleurs que ceux qui ont été levurés. En fait, je mets quiconque au défit de faire la différence, en dehors de toute information extérieure bien sûr. Simplement, si on fait aussi bien en ne levurant pas qu'en introduisant une substance étrangère, autant choisir cette voie-là.

J'en conviens totalement.

 

Voici le stade actuel de ma réflexion.

Cela ne me vaut certes pas la certification par les grands prêtres.

Mais ils peuvent en faire des ex-voto, de leurs diplômes.

 

... (et de la cotisation qui va avec)

 


Write a comment

Comments: 5
  • #1

    jean-Charles Botte (Friday, 04 September 2015 20:13)

    Cher Luc, j'aime beaucoup vous lire. C'est un plaisir de lire quelqu'un d'honnête et pas obtus. Mais c'est vrai, je réalise vous n'êtes pas français mais bien belge. j'ai aussi de la chance, j'ai eu une éducation wallonne et un quart de sang belge....Il n'y pas de vins parfaits il n'y a que des goûts favoris;..Dans mon livre, apprendre à déguster avec un pro qui est devenu Repenser la dégustation, je compare deux vins du même cépage de la même année et du même lieu : l'un levuré, l'autre pas...Les plus durs à comparer, sont provenant des côtes du Rhône. Et j'espère un jour partager ce moment là avec vous cordialement Jean-charles Botte sommelier en Norvège.

  • #2

    Luc Charlier (Friday, 04 September 2015 21:07)

    Merci, trop d'honneur. Je connais un peu Oslo et j'arrive à comprendre la langue norvégienne, écrite (je lis le journal) mais RIEN quand ils parlent. Mais ne vous faites pas d'illusions sur moi. J'essaie de singer feu mon père, qui était honnête et sincère jusqu'à la bêtise, ça c'est vrai. Mais j'ai aussi mes préjugés, mes intolérances et je commets des centaines d'erreurs tous les jours. Je suis tjs prêt à revoir une position mais il faut BEAUCOUP d'arguments pour me convaincre et pas du soft.

  • #3

    jean-Charles Botte (Saturday, 05 September 2015 14:45)

    Cher Luc
    Une simple dégustation après la vie fera le reste...jamais je n'essaierai de vous convertir....
    cordialement
    JC

  • #4

    Luc Charlier (Saturday, 05 September 2015 19:07)

    Avec plaisir. Mais je ne suis pas présent en Norvège, ni dans le commerce en France d'ailleurs. Vous êtes bien entendu le bienvenu ici. Il y a toutefois un "hic" dans la démarche. Vous SAVEZ que je levure, je n'en fais pas mystère. Votre dégustation ne pourra donc, dans le meilleur des cas, que confirmer votre "devinette" si tant est que mon vin vous apparaît comme appartenant à la catégorie des "avec levure sélectionnée". Si votre perception sincère est "levure indigène", votre intellect refusera cette impression et la démonstration devient caduque!

  • #5

    Marc Gosselin (Monday, 07 September 2015 12:29)

    Que penserais-tu d'une damejeanne non levurée?
    Je suis preneur.
    Bis geschwënn