A LA MODE D'ONFRAY


Avant d'entamer

mes chroniques, 

j'ai une vague idée

de leur plan.

Ensuite, les digressions

s'imposent d'elles-même.

 

 

 

 

Il va de soi que le troisième jeudi de novembre m'offre chaque année matière à m'émouvoir.

Le Beaujolais nouveau, cette institution tenant de la vache sacrée, conçue au départ comme une vache à lait, me fait vachement tartir.

 

Depuis une note ministérielle du 13 novembre 1951, il est fait dérogation à l'obligation, pour des vins d'appellation, de ne "sortir" qu'après le 15 décembre de l'année de leur récolte. On appelle alors "nouveau" ou "primeurs" - je sais qu'il existe un distingo mais il est secondaire, factice - le vin vendu à cette date.

 

Dans le Beaujolais, "certains" ont eu l'idée de se débarrasser ainsi d'une quantité importante de vin - car contrairement à une légende, le Beaujolais produit assez lui-même pour satisfaire la demande mondiale et les wagons-citernes venus du Portugal qui stationnaient jadis en gare de Beaujeu ne servaient qu'à augmenter le degré, pas le volume - qui procurait ainsi tôt dans l'année de la trésorerie aux producteurs. Aucun mal à cela.

 

Après, c'est affaire de goût. je n'aime pas le vin nouveau, en général. Il y a quelques exceptions, notamment ces vins blancs très vifs, aux arômes de levure et encore pétillants, qu'on boit au Wienerwald dès novembre venu (et parfois avant) et qui donnent naissance à la culture des Heurigen. Mais n'est pas Grinzing qui veut.

 

Les ayatollahs du goût vous imposent le leur: la seule bonne andouillette est AAAA, la seule bonne gambas vient de Palamos, la Blonde d'Aquitaine ne vaut rien etc ... Rien de tout cela chez moi. Je n'aime pas les arômes obtenus, volontairement, dans le vin primeurs. Je n'aime pas son manque de corps. Je n'aime pas sa mauvaise acidité et je n'aime pas non plus la sécheresse de ses tannins, pourtant légers. Mais je n'en dégoûte pas les autres.

 

Parmi mes "cousins de plume", mes "frères en oenophilie", certains font profession ou profession de foi, de favoriser à tout prix la consommation de vin. Oh, pas dans l'excès de volume, non, dans la fréquence et la multiplication des occasions. Qu'un ancien chef de cabinet au ministère de l'agriculture, amateur sincère de vin et ami des vignerons et de la campagne en général, ait passé sa vie à défendre avec énergie le commerce extérieur de la France et le maintien de l'emploi vigneron est à son honneur. Il sait que je l'estime, notamment pour cela. Qu'un journaliste spécialisé de renom, en semi-retraite, fasse l'apologie du pinardage en toute occasion est une déformation professionnelle dont on ne peut lui tenir rigueur. Il sait aussi combien je l'aime.

 

Que des amis vignerons me querellent quand je dis sans malice que je n'aime pas le Muscat de Noël ni le vin primeurs de mon département, c'est compréhensible car ils maintiennent ainsi un semblant de trésorerie: les liquidités par le liquide, en somme.

 

Que des cavistes, et même des bons, profitent de l'occasion pour accueillir ce soir-là une chalandise importante est de bonne guerre.

 

Mais qu'on ne vienne pas me dire que l'image du vin de qualité s'en trouve flattée.

 

Et le côté "festif", franco-franchouillard, de cette entreprise m'échappe totalement. J'adore la bonne bière mais ne me suis jamais régalé aux "Fêtes de la bière", même pas à Wieze.

 

Après, je laisse  l'analyse financière aux menteurs. Il faudra beaucoup de chiffres, vérifiés, pour me convaincre que le volume bu "en primeurs" ne se défalque pas du total des achats de vin, d'autant que la valeur unitaire de ces produits est souvent basse; inférieure en tout cas à ce que rapporterait une bouteille élevée "normalement". Et on aura du mal aussi à me convaincre que cela attire au vin des gens qui n'en boiraient jamais autrement.

 

J'évoquais Onfray. Je ne l'apprécie que moyennement. Il possède une intelligence que je n'ai pas, un don de tribun manifeste, une certaine aisance calamique, de l'érudition et le sens de la provocation. En contrepartie, il pense souvent de travers, prend le contrepied pour prendre le contrepied, affiche une arrogance effrayante et sa posture de "philosophe" m'irrite. Je n'ai besoin de personne pour penser à ma place, ni même pour m'aider à penser. Par contre, il apporte souvent la contradiction là où c'est nécessaire. Et il ne peut pas blairer M. B-H Lévy, ce qui signe un jugement éclairé, au moins en cette occasion.

 

Je crains que ce papier-ci ne s'inscrive un peu dans la lignée Onfray.

Il ne m'attirera pas beaucoup de sympathie mais je DEVAIS l'écrire, compulsivement, par honnêteté. 

Eh oui, c'est une des seules choses que mon père m'a léguées.

Je l'en remercie à titre posthume, même si cela n'a jamais facilité ma vie.

 

 PS: Avant qu'un amputé du cortex ne m'adresse un reproche, je précise que j'apprécie énormément LE

        Beaujolais en général, et surtout certains vins de cru (Fleurie, Juliénas, Côtes de Brouilly, Morgon,

        Chenas et MAV), mais pas leur version "vin nouveau".


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Comments: 3
  • #1

    berthomeau@gmail.com (Wednesday, 18 November 2015 18:11)

    Je suis d'accord avec le trotskiste d'opérette : le pire cette année c'est que les cavistes profitent des événements pour attirer le chaland dans leur échoppe...

    signé un allié objectif de l'impérialisme américain

  • #2

    Luc Charlier (Wednesday, 18 November 2015 21:03)

    C'est vrai. D'un autre côté, il faut les faire venir, les gens. Sinon, ils iront encore plus dépenser ce budget dans la GD, qui "offre" des primeurs à prix très bas, avec souvent des promos 5+1 ou même 4+2 par-dessus le marché. En outre, j'ai l'espoir que, une fois sur place, l'achat ne se limite pas au Beaujolpif.
    Pour les opérettes, j'en ai une qui devrait te plaire, cher Jacques: "Vive le cidre de Normandie!".

  • #3

    David Cobbold (Thursday, 19 November 2015 09:10)

    Le problème du Bojonovo, comme le savent bien les producteurs de la région en question, est qu'il occupe presque entièrement la case nommée "vin de Beaujolais" dans le cerveau des consommateurs, laissant peu de place pour le reste, nettement plus intéressant. Cela dit, je ne crache pas sur les bons vins nouveaux, et cela existe bien entendu. Goutes à l'occasion aux primeurdvpSs de Pierre-Marie Charmette, par exemple