"KAHN CELA NE TIENNE"












Chronique sur un  

- très bon -

livre curieux












Au 11ème étage de la tour de l'hôpital Bichat, j'ai souvent suivi les explications médicales de Marcel-Francis Kahn, le pape à l'époque de la rhumatologie française, qui publia notamment le célèbre manuel "Maladies Systémiques". J'ai aussi suivi ses anecdotes politico-mondaines, comme par exemple les parties de pêche sous-marine à la langouste avec le lider maximo. Pour moi, c'était en 1986. Je suis allé fouler le Malecon deux ans plus tard, en service commandé, mais n'y ai pas rencontré Fidel.


Pourtant, chez les israélites pratiquant conservateurs - ce que les encartés au PCF sont rarement - les descendants d'Aaron ne devraient pas étudier la médecine. En effet, Kahn (comme, non-exhaustif, également les Kasdan, Kagan, Gorenick, Kotatitsi, Conn, Conway, Cogan, Kaplan, Coen, Kuhn, Katten, Cahen, Kots, Kotanis,, Sacerdoti, Cano, Correa, Rappaport ...) est un des autres patronymes des Cohen. "Cohen" était le dévoué, surnom attribué à Aaron (frère de Moïse de la tribu des Lévi) à qui fut confiée la charge des services dans le Temple. Pour ne pas être souillés, les Cohen ont par la suite été soumis à toute une série de contraintes particulières, dont celle de ne pas entrer en contact avec un cadavre, considéré comme impur. Pour cette raison, j'ai observé dans pas mal de cimetières israélites (à Vienne et à Prague, notamment) des parterres séparés pour les Cohen, car ainsi ils évitaient de traverser les zones où ils risqueraient d'en rencontrer. Les commentateurs - et Javeh sait s'il y en a - du Talmud expliquent que c'est pour cette raison aussi que les professions médicales et paramédicales leur seraient encore fermées. Sur des sites dédiés, j'ai encore vu des jeunes interroger leur communauté au sujet de cet interdit, avant d'entreprendre des études supérieures.


Chez notre Kahn - parenté avec M-F Kahn inconnue pour ma part - ce veto n'a heureusement pas prévalu. Il faut dire que, originaire d'une souche alsacienne passée en Champagne, né lui même en Indre-et-Loire pendant l'occupation avant de réintégrer Paris, il se réclame au fil des pages de la laïcité.


Je ne connaissais de lui qu'une réputation de chercheur (généticien notamment), une vague allégeance au PCF (passée) et son statut de frère d'un journaliste en vue. Mais, honnêtement, la Belgique où je vivais ne suit pas trop les évolutions des intellectuels parisiens. Ceux de mes compatriotes qui regardent la télé bleu-blanc-rouge connaissent mieux Drucker, Nagui, Les Guignols, Lepers, Geluck et - parfois - Pivot. No comment.


Sur le coup de midi trente, il y a quelques semaines, France Bleu qui accompagnait ma tartine solitaire - Christine ne mange pas son lunch à la maison d'ordinaire - interviewait M. Kahn dans le cadre de la promo de ses deux livres de randonnée (mais pas que). Je l'ai trouvé brillant d'un part, clair de l'autre, et humain de la troisième. J'ai filé chez Torcatis (publicité gratuite pour M. Coste et son équipe)  et me suis offert les deux ouvrages. Il manquait bien Modestine pour concurrencer Stevenson mais notre toubib n'a pas viré vers une droite appuyée, lui, à l'inverse du romancier écossais. Conclusion: voyager avec des animaux vous rapproche des thèses frontistes.


Tout le monde, et son cousin aussi, a lu les livres dans mon cercle familial et ce sont donc des pages écornées que je tourne à présent. Nous rentabilisons nos achats en librairie, chez les Charlier. Ainsi de "Mein Kampf", qui, après avoir fait le tour de nos mains, a fait les beaux jours de nos chiottes pendant quelque temps. C'est que ça essuie bien, les caractères gothiques! 


J'ai fini le "premier tome", paru chez Stock début 2014, et je m'en suis délecté. L'écriture est brillante et le verbe choisi. Très peu de coquilles - j'en ai relevé quelques-unes néanmoins - et je signale humblement à l'auteur que le sigle international désignant les voitures des Pays-Bas est NL et non NLD. Il aura aussi avantage à réviser ses informations concernant les vautours, et le vautour fauve en particulier: cet animal mesure plus d'un mètre d'envergure d'une part et ses attaques d'animaux encore vivants, d'autre part, sont l'exception. Il s'agit là souvent de proies agonisantes, où déjà d'autres espèces ont commencé le travail, comme les corbeaux par exemple.


Pour le reste, le bouquin vous mène de Givet, dans "mes" Ardennes, jusqu'à la Rhune et enfin Ascain. Le récit de sa progression en lui-même vaut la peine et ses considérations d'ordre géo-politiques sont fraîches et sensées. Il m'a appris plein de choses sur des endroits que je connaissais déjà, pour y avoir de la clientèle et la visiter (St Alban-sur-Limagnole, Figeac ...). Il a décrit des impressions qui collaient à l'identique aux miennes sur certains coins: la cascade du Déroc de Nasbinals, l'ambiance à Decazeville, les chemins de la Lomagne, la rusticité du Tarn & Garonne, la Margeride, le Velay et ses lentilles ...


Par contre, ce laïc sensible à la beauté mystique - moi aussi, sans aucune dévotion cependant - de certains sites religieux ne pipe mot sur les vitraux de Soulages, alors qu'il s'épanche sur le reste de la belle abbatiale Ste Foy de Conques. Dans un autre ordre d'idées, il a noté également la beauté presque "allumeuse" des yeux de la race Aubrac,  qu'elle partage selon moi avec les jerseyaises.


Et l'auteur? J'ai fait plus ample connaissance avec sa biographie (ICI). Si notre terre n'était pas ronde, on pourrait dire qu'il l'a parcourue par tous les coins. Il a tâté de l'industrie pharmaceutique (Rhône-Poulenc) et pas forcément dans ce qu'elle a de plus clean. Il a dirigé Cochin. Il écrit (beaucoup). Il a fait de l'assistance technique en Centre Afrique. Il fut un communiste "officiel" et est resté proche de l'Huma. Il fit partie du cercle des proches de Tonton-la-Francisque. Il a été présenté par les socialistes comme candidat face à Fillon dans une circonscription parisienne. Il s'est marié trois fois et sa dernière compagne est ouvertement de droite. Enfin, à 70 ans passés, il dispose d'une forme physique incroyable.


J'aime les personnalités complexes, un peu contradictoires, "idiosyncratiques" en quelque sorte.

Si je n'ignorais pas ce sentiment envers le succès des autres et leur talent,

j'aurais de quoi être jaloux d'Axel Kahn.

Un livre que je recommande vivement.



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